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La voix silencieuse

Le Vaud, le 31 décembre 2020


Et voici la troisième de mes "premières nouvelles" que je ressors des cartons. Un autre miroir.


La voix silencieuse

Désinspirée. Le néologisme fut son unique production du jour. Elle qui se rêvait auteure de nouvelles originales, génitrice d'histoires inédites, elle pataugeait, une fois encore, dans l'océan des banalités. Une infinie tristesse s'empara d'elle. "Ô toi, ma fontaine créative, ma source inventive, comment te retrouver?"

Au petit matin, elle perçut la voix silencieuse; dans cet espace, juste avant que l'humeur chagrine ne la gagne. La muette lui confiait: "Ta source est aussi sa source. Vous êtes les enfants du Big Bang." Alberta - son prénom avait été choisi par sa mère en hommage à Einstein - songea au physicien: pourquoi n'avait-elle pas le même génie que lui? Elle n'offrit aucune résistance au désespoir qui prit possession d'elle.

A court de larmes, Alberta baissait la garde. C'est le moment que choisit la voix silencieuse pour sa deuxième confidence: "Ta source vient de la source. Elle ne t'abandonnera jamais." L'abandon… Toute sa vie, l'écrivaine l'avait craint, autant que provoqué. Le souvenir des amours déçues, la mémoire des liens brisés... La nostalgie lui arrachait les tripes.

Prisonnière de son tourbillon dépressif, Alberta s'enfonçait dans le gouffre. Les idées noires se succédaient. "Je me suis retrouvée dans le mot destruction; et j'ai enfin atteint le cœur de l'infini." C'est elle qui, trente ans plus tôt, avait choisi le mot pour sa rédaction de français. Un écrit nihiliste qui faillit lui coûter son baccalauréat. Le suicide, sous toutes ses formes, l'avait toujours attirée; comme un irrésistible aimant.

Puis, ce fut le paroxysme de la souffrance. Alberta remontait le temps, son corps meurtri heurtait, dans un rembobinage accéléré, toutes ses douleurs passées. Jusqu'au cri de sa naissance, assourdissant. Dans le ventre maternel, le fœtus fusionnait avec sa procréatrice, dans une joie indescriptible. A la vitesse de la lumière, le code génétique traversa les générations, jusqu'à l'explosion initiale: "Je suis la source. Je suis le silence d'où naissent les sons; je suis la page blanche d'où émergent les mots."

Emorej Lojuob, Juillet 2015


Jérôme Boujol

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